Portrait d'artistes réfugiés
Dans le hall de l’atelier des artistes en exil, c’est un va et vient constant de dessinateurs, de sculpteurs, d’écrivains, de photographes, de chanteurs, de peintres et de compositeurs. L’un arrive pour présenter ses peintures. Un autre s’apprête à prendre le train pour Bruxelles afin de raconter son histoire sur scène. Depuis l’ouverture en 2017 à Paris de l'atelier des Artistes en exil, environ deux cent personnes de quarante nationalités y sont venues poursuivre leur projet artistique, rencontrer d’autres professionnels, apprendre le français et trouver des conseils au regard de leur situation administrative. Ce lieu multi-communautaire et multidisciplinaire est devenu pour beaucoup de ces personnes un lieu de rassemblement, un ancrage.
Un endroit où finalement, l’art peut se libérer des frontières.

“ En 2015, nous nous sommes posés la question des réfugiés. Il y avait le camp de migrants à ciel ouvert de Saint-Ouen et évidemment la photo du petit Aylan qui circulait partout dans les médias. Nous avons eu l’idée de vouloir faire quelque chose notamment en direction des réfugiés syriens.” raconte Judith Depaule, metteure en scène française et co-fondatrice du projet.

“Au Venezuela, j’étais un activiste politique. J'ai fait beaucoup d'art politique et beaucoup de vidéos et de photographies. Notre gouvernement persécute les artistes et les leaders politiques. À cause de cela, j'ai dû quitter le Venezuela.C’est pourquoi je suis ici, en France. J'adore la politique et je réfléchis à la manière dont elle influe sur la population aussi bien au niveau individuel que collectif”. - Christobal

Sur cette photo, Christobal présente l’une de ses œuvres.
“Il s’agit d’interagir avec les gens dans la rue avec un habit décoré de piques. Sans parler, je les touche avec la main pour rompre les barrières. C’est un travail qui parle de nos peurs. J'ai fait cette performance dans différents pays ; en Angleterre, en République tchèque, en Chine ... En Chine, c'était très intéressant parce que les gens étaient si curieux!”

Son stylo Bic noir à la main, Najah a vécu dans le centre 227 des services de renseignement militaire en Syrie où les tortures, les humiliations et les coups étaient quotidiens. Dessinateur, il témoigne des atrocités de l’enfer carcéral. Un travail qui lui a valu une reconnaissance internationale.

“J’ai commencé à dessiner à Beirut en traversant les frontières. J’ai une centaine de dessins et j’en produis parfois plusieurs par jour. C’est comme une psychothérapie, un témoignage. Là par exemple sur ce dessin, les prisonniers doivent évacuer les autres prisonniers morts.” raconte Najah.

Yacob, Éthiopien a dû fuir son pays où l’artiste n’a pas de liberté. Depuis son arrivée en France, son art qui marie à la fois des sujets sociétaux, économiques et politiques, n’a pas changé. Son dernier travail réalisé à partir de canettes interpelle notre relation aux marques et aux produits.

Afia est né en 1980 en Arabie Saoudite. Après des études à la faculté d’art de l’université de Damas, elle devient peintre et créatrice d’objets d’artisanat à partir de matériaux recyclés. En 2018, elle décide de fuir la guerre en Syrie et arrive en France avec sa famille.“J’apprends le français depuis 2 mois et je me suis inscrite à l’école des Beaux-Arts” explique-t-elle.

Judith, la co-fondatrice de l’atelier des artistes en exil raconte : “Mahmoud travaille avec rage en utilisant des matériaux inhabituels comme des oxydes, du goudron ou du ciment!”Il précise “J’utilise des matériaux qui changent de couleur. Par exemple, aujourd’hui cette oeuvre est bleue et dans trois mois, elle sera peut-être orange. Chaque mois, je prends des photos de l’oeuvre, cela me permet de voir les changements !”

Né au Liban en 1982 et réfugié très jeune en Syrie, Mahmoud est dessinateur, scénographe, designer et architecte d’intérieur. Il est arrivé en France en 2011 pour poursuivre ses études. Mais la révolution syrienne l’empêche de rentrer. Cet artiste travaille essentiellement sur des grands formats dont certaines de ses oeuvre ont été exposées au Ministère.

Fabrice alias Fabson est originaire de la République Démocratique du Congo (RDC). Alors qu’il termine le lycée, il fréquente en auditeur libre les cours de l’Académie des Beaux Arts tout en réalisant des peintures. Invité dans l’émission B One-show à présenter ses tableaux à plusieurs reprises, il dénonce la situation des jeunes et les exactions du gouvernement. Recherché par les autorités après la marche du 26 juin 2016 pour le respect de la constitution, il s’enfuit en Turquie et rejoint la France début 2018. Il intègre le “programme étudiants invités” des beaux arts de Paris.
La question de l’argent est présente dans ses créations. Sur l’une de ses oeuvres, il illustre “ces femmes qui s’envolent comme des papillons à cause de l’argent”.

A l’Atelier des artistes en exil, de nombreux artistes sont pluridisciplinaire. C’est le cas de Sameer, originaire du plus grand camp palestinien qui existait en Syrie, qui réalise un travail pictural mais aussi un travail de création de films d’animation. On imagine en regardant ses peintures comment celles-ci peuvent s’animer.

Né à Sweida en 1978, Omar Ibrahim est un peintre et sculpteur syrien. Il est aujourd’hui installé en France où il travaille. L'artiste entre à l'université de Damas afin d'y étudier les arts plastiques. Il choisi de se consacrer à la peinture et à la sculpture. Dans son travail, Omar utilise de nombreuses métaphores pour s'interroger sur la nature de l'homme et ses conditions de vie.
“Quand je représente des arbres, c’est pour parler de la nostalgie de mon pays, la Syrie, de ce que j’ai quitté. C’est pour moi, un moyen de respirer dans ce contexte de guerre.” confie -t-il.
Ses oeuvres ont été exposées de Dubai, à Tokyo mais également au Liban, en Arabie Saoudite, et dernièrement à Paris. Il a notamment participé à un atelier de l’association “Refugees got talent” à Bruxelles. L’idée : offre aux artistes migrants un espace où exercer leur passion et se retrouver pour créer.

“Je faisais des sculptures sur bronze en Syrie mais en France, cela coûte trop cher. Je fais de la peinture depuis 4 ans” raconte Orouba, épouse de Hammoud, artiste peintre.

“J’avais un atelier 10 fois plus grand en Syrie” raconte Hammoud en montrant son portrait réalisé dans son atelier. “J’en avais un pour l’été à la campagne et celui pour l’hiver était à Damas. J’avais fait réalisé ce livre.” explique Hammoud.
Né en 1956 à Alep, il a étudié l’art au centre Suhail al-Ahdab et à la faculté des beaux-arts de Hama et aux Beaux-Arts à Paris. Ses oeuvres sont empreintes de spiritualité et d’onirisme avec beaucoup de tendresse.

Complices, assis chacun dans un canapé confortable, ils discutent autour d’un thé dans leur atelier. Cela fait 2 ans et demi qu’ils travaillent dans le 18ème arrondissement.
Hammoud était son professeur à l’école d’art en Syrie. Orouba était son élève. Ensemble, ils ont eu 3 filles qui vivent aujourd’hui à l’étranger. Chacune a hérité de la fibre artistique.